Cela doit bien faire 25 ans au bas mot que l'on ne s'est pas vu, mais bon, c'est la vie... Aujourd'hui, j'ai un petit garçon de 3 ans et 1/2, qui commence à monter à poney, en main, à Paris ou en vacances, qui rit aux éclats dès qu'il trotte et je ne peux bien sur m'empêcher de croire qu'une passion est en train de naître... enfin on verra.
Cela me fournit en tout cas le prétexte idéal pour me replonger dans mes souvenirs et renouer avec ces moments magiques de l'enfance passés à Bois-Guilbert. Je suis donc allé visité votre site Internet, et même si j'ai toujours suivi de loin en loin vos parcours respectifs," Jean-Marc, ses œuvres et ses expos, Thierry et le flambeau repris, - j'ai retrouvé avec un énorme plaisir le Bois Guilbert que j'avais connu, certes modernisé, innovant (ces stages sculpture/poney sont une idée extraordinaire), mais au fond, intact.... L'âme est là.
J'ai lu des lettres d'enfants, j'ai lu des lettres d'instituteurs, des lettres d'anciens et j'avais envie aussi de contribuer à la mémoire collective de ce lieu unique..."
Alors voilà, moi, Je me souviens de mon premier stage à Bois-Guilbert, j'avais 5 ans... , Je me souviens des cuisines et des dortoirs au château, du froid de l'hiver normand, de l'émotion intense du plaisir d'avoir un poney pour moi,
Je me souviens aussi, dès ce premier séjour, de ma chute, du poney qui me marche dessus, de mon menton ouvert, du voyage dans la DS break bicolore bleu et bois de " M. de Pas ", de l'hôpital Charles Nicolle, des points de suture, Mais je me souviens aussi de n'avoir jamais eu peur de remonter,
Je me souviens de " M. Jacques ", à Bois Guillaume, qui m'a remis en selle,
Je me souviens de ses habits bleus un peu délavés, de sa casquette, des maïs aux lèvres, de son sourire discret et de son silence, de sa gentillesse distante,
Je me souviens des poneys Julie, Camélia, Faye, Mandy, Primerose, et tant d'autres puis plus tard de Baron, Mobylette, Palomino, des chevaux Ariane et Aurore, piaffant et écumant, toutes veines dehors, du bruit de ses fers sous la monte de " M. de Pas ", lorsqu'il nous accompagnait parfois pour faire alors de plus longues promenades dans la forêt et la campagne,
Je me souviens donc, bien sur, de la grande silhouette de Louis de Pas, un peu voûtée et légèrement penchée pour se mettre à la hauteur de ces interlocuteurs, parents ou enfants qu'il dépassait d'une ou plusieurs têtes,
Je me souviens de son sourire toujours un peu mystérieux mais bienveillant, de son côté assez intimidant, en tout cas pour moi, de sa voix, des histoires qu'il nous racontait et des films qu'il nous projetait sur les poneys qu'il était allé cherché dans les îles, là bas au fin fond des shetlands, quelques années auparavant,
Je me souviens de l'odeur de la sciure dans le grand manège, du choix des poneys au début du stage, puis un peu plus grand, de " M. de Pas " au milieu de poneys " sauvages " juste rentrés du pré qui lui arrivaient aux cuisses, les empoignant par la crinière au milieu d'un tourbillonde têtes, crinières et croupes mus par un affolement brownien incontrôlé, pour nous les donner à dresser,
Je me souviens de nous, autour, impressionnés, muets et un peu fébriles, s'avançant chacun son tour pour prendre le petit poney que l'on avait déjà repéré depuis bien longtemps,
Je me souviens des séances de dressage, du premier corps sur leur dos, à plat ventre, des poneys tétanisés puis de jour en jour plus confiants, du dressage à l'attelage, de Barrabas, le mien, qui un jour, m'a embarqué brusquement à plein galop, dans mon char romain, stoppé net par une roue coincée dans un tronc de pommier, harnais cassé net,
Je me souviens de ces bouts de bois coupés dans la forêt et sculptés, à têtes de tout et de rien, aux corps scarifiés, de ceux de Jean-Marc qui étaient les plus beaux, de ses premiers visages sculptés dans cette pierre grise et aérée, de son repaire dans le pavillon où ses premières œuvres trouvaient déjà leur place,
Je me souviens, plus grand, des randonnées en forêt de Lyons, avec Rumba qui tirait la charrette de western avec toutes nos affaires, de cette impression d'épopée du bout du monde,
Je me souviens des villages traversés, des histoires de pionniers dans lesquelles on se projetait, des cheminements à pied pour soulager les poneys, des barrières ouvertes et fermées des champs traversés, des vaches côtoyées avec pas mal d'appréhension,
Je me souviens des chahuts dans les granges, de l'odeur du foin et de la paille qui grattaient dans les duvets et sous les habits, des engueulades parce qu'on abîmait les bottes,
Je me souviens des feux de camps, des chansons, des poneys, un soir, affolés sans doute par du gibier, qui tournent autour de nous et dufeu, au trot puis au galop, qui nous suivent lorsque nous allons nous coucher, défoncent la barrière et s'enfuient dans la campagne, pour être retrouvés au petit matin à quelques km de là.
Je me souviens de batailles de polochons interdites, de charges héroïques et fantastiques dans les champs, à l'assaut d'improbables ennemis, tous en ligne, tous hurlant " chargeeeeeeeeez! "
Je me souviens des regards à droite et à gauche, des visages muets et hilares, du vent dans les oreilles, du souffle des poneys, du bruit des sabots, De Vincent, mono et copain à la fois, qui nous menait et nous matait, il fallait bien ça, De Thierry, de son rire et de son chapeau de cow boy, avec sa Mobylette ronde et puissante, Des tours de cuisine et de vaisselle, que l'on cherchait toujours à éviter, des veillées et des chansons.
Je me souviens des petits spectacles de fin de stage, devant les parents,sur la pelouse du château, de la joie et la fierté de montrer ce que l'on savait faire et de la tristesse déjà présente du départ prochain,
Je me souviens du désir de ne pas être le premier à partir de peur de laisser échapper encore quelque chose, mais pas non plus dans les derniers pour ne pas briser le rêve en se retrouvant dans un décor déserté,
Je me souviens des retours en voiture les yeux perdus dans le paysage et la pensée vagabonde, repassant le film de ces vacances et attendant déjà les prochaines avec impatience...
Voilà, je me souviens de tout ça, et sans doute de bien d'autres choses encore ...
En attendant que mon petit bonhomme découvre à son tour cet univers unique, et qu'il suive, plus tard encore je l'espère, l'éveil à la sculpture qui est vraiment une excellente idée, je vous salue bien bas.
Je salue aussi ceux dont je me souviens à commencer bien sur par Christiane, vos (tre) frères et sœurs, mais aussi si vous les voyez encore, Vincent Mesnil, la famille de Dionisi, et tous ceux qui ont contribué à construire cette fabuleuse machine à rêves.
Que viva Bois Guilbert ! A bientôt